Par Claire Malwé, Maître de conférences à l’Université de Rennes 1
Dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, l’Union européenne s’est engagée à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 en poursuivant un objectif intermédiaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre à 55% en 2030 par rapport aux niveaux de 1990[1]. Pour atteindre cet objectif ambitieux, les flux financiers à mobiliser sont considérables : l’étude d’impact accompagnant le plan climat de l’UE mentionne la nécessité d’investir entre 326 et 377 milliards d’euros supplémentaires chaque année entre 2021 et 2030[2]. Si le budget de l’UE est un levier d’action à ne pas négliger, il ne constitue pas, à lui seul, une force de frappe suffisante[3]. D’où la nécessité, réaffirmée par la Cour des comptes européenne, de réorienter les financements privés vers les investissements durables[4].
S’agissant du budget de l’Union européenne, la part dédiée à la transition écologique devra être considérablement accrue : dans son règlement n°2021/1119, l’Union européenne annonce qu’elle s’engage à consacrer 30% du montant total de ses dépenses sur la période 2021-2027 à l’action pour le climat[5], soit autour de 50 milliards d’euros chaque année. Encore faut-il que les financements annoncés soient utilisés de manière efficiente, ce qui, d’après la Cour des comptes européenne, n’a pas été le cas des financements de la PAC consacrés à l’action pour le climat[6]. Compte tenu de l’augmentation importante des besoins de financement, la création de nouvelles ressources propres destinées à financer la lutte contre les changements climatiques est également au cœur des débats : outre l’instauration d’une nouvelle contribution fondée sur les déchets d’emballages plastiques non recyclés[7], la Commission a proposé la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF)[8] afin de prévenir les risques de « fuites de carbone »[9]. Mais une telle proposition suppose de supprimer l’allocation gratuite des quotas carbone dont bénéficient encore certaines industries dans le cadre du SEQE (système d’échanges de quotas d’émission de l’UE), ce qui ne devrait pas être réalisé à brève échéance[10].
En dehors des financements de l’UE spécifiquement dédiés à la lutte contre le changement climatique, il convient de s’assurer, pour l’ensemble des financements européens, que leurs finalités ne bloquent pas ou n’agissent pas à contre-courant des objectifs climatiques de l’UE. Afin de garantir la compatibilité des critères d’attribution des fonds européens avec la transition écologique, la taxonomie de l’UE pourrait utilement servir de référence[11]. Cette dernière couvre six objectifs environnementaux : protection des écosystèmes sains, atténuation du changement climatique, adaptation aux effets du changement climatique, utilisation durable et protection des ressources hydrauliques et marines, transition vers une économie circulaire et prévention et recyclage des déchets, prévention et contrôle de la pollution. Conformément à l’article 3 du règlement (UE) 2020/852, pour être considérée comme durable, une activité économique doit « contribuer substantiellement à un ou plusieurs objectifs environnementaux » et « ne causer de préjudice important à aucun des objectifs environnementaux » précités[12]. La première difficulté est qu’à l’heure actuelle, l’utilisation de la taxonomie de l’UE ne s’est pas imposée de manière uniforme pour toutes les dépenses du budget de l’UE : la Cour des comptes européenne a en effet souligné la disparité entre les critères utilisés pour déterminer la durabilité environnementale des activités bénéficiant des fonds européens, en particulier s’agissant du « principe consistant à ne pas causer de préjudice important »[13]. Ainsi, si la « Facilité pour la reprise et la résilience » ne finance que des mesures qui respectent un tel principe, le Fonds InvestEU n’a fait l’objet que de recommandations en ce sens. Par ailleurs, et plus problématique, la crainte existe que la taxonomie de l’UE ne soit pas suffisamment exigeante pour soutenir les objectifs climatiques de l’UE. Cette crainte est alimentée par la décision récente de la Commission européenne de proposer d’inclure les activités relevant du secteur de l’énergie nucléaire et du gaz dans la taxonomie verte[14]. Sauf objection du Parlement européen et du Conseil, le très convoité label européen d’investissement durable devrait alors être attribué à des activités gazières ou nucléaires à partir du 1er janvier 2023. Dès lors, on comprend, au terme de ce bref tour d’horizon, que les obstacles à franchir sont encore nombreux pour que le budget de l’Union serve de levier efficace aux objectifs climatiques affichés.
[1] Règlement (UE) n°2021/1119 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n°401/2009 et (UE) 2018/1999.
[2] Impact assessment accompanying the Communication “Stepping up Europe’2030 climate ambition. Investing in a climate-neutral future for the benefit of our people”, SWD(2020) 176 final.
[3] Le montant total des engagements prévu dans le budget 2021 est fixé à 164,2 milliards d’euros.
[4] Cour des comptes européenne, Finance durable, rapport spécial 22/2021.
[5] Règlement (UE) n°2021/1119 précité, considérant 28.
[6] Cour des comptes européenne, PAC et climat, rapport spécial 16/2021.
[7] Décision UE n°2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE Euratom.
[8] Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières COM(2021) 564 final.
[9] A savoir le fait que des entreprises établies dans l’UE puissent déplacer leur production à forte intensité de carbone à l’étranger afin de profiter des normes plus laxistes, ou que des produits de l’UE soient remplacés par des importations à plus forte intensité de carbone.
[10] La Commission propose « une période d’introduction progressive de 10 ans ».
[11] Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.
[12] Article 3, Règlement (UE) 2020/852 précité.
[13] Cour des comptes européenne, Finance durable, rapport spécial 22/2021.
[14] Acte délégué complémentaire relatif aux objectifs climatiques de la taxinomie C(2022) 631/3 du 2 février 2022, disponible à l’adresse : https://ec.europa.eu/finance/docs/level-2-measures/taxonomy-regulation-delegated-act-2022-631_en.pdf