Par Marisa Mariel-Groisard
Ancienne étudiante du Master 2 Droit de l’environnement de l’Université Paris-Saclay
1. Une réglementation à venir en matière d’économie circulaire. Sous l’impulsion du Green Deal, la Commission européenne a publié le 30 mars 2022 une proposition de règlement sur l’écoconception des produits durables (ci-après la « proposition REPD »). Elle entend fixer des exigences minimales d’écoconception pour la quasi-totalité des produits circulant dans le marché intérieur européen[1], et plus précisément, impose à tout metteur sur le marché européen « l’intégration de considérations relatives à la durabilité environnementale dans les caractéristiques d’un produit et dans les processus mis en œuvre tout au long de la chaîne de valeur du produit »[2]. Toujours en cours d’adoption (un accord provisoire a été conclu le 4 décembre 2023 entre le Parlement européen et le Conseil sur le règlement), ce texte est susceptible de générer des bouleversements considérables sur le marché intérieur. Ses ressorts principaux méritent donc d’être explicités, eu égard aux exigences minimales d’écoconception et d’information environnementale qu’il pose, non sans avoir préalablement exposé son contexte d’adoption.
I – Un contexte propice à la généralisation de l’écoconception
2. Contexte politique. Cette initiative, qui fait partie du paquet économie circulaire du Green Deal, a été présentée par la Commission le 30 mars 2022 à l’occasion d’une communication intitulée « Faire des produits durables la norme »[3]. Ce dispositif représente l’ensemble des mesures juridiques prévues au soutien du nouveau plan stratégique sur l’économie circulaire présenté le 11 mars 2020. Par la même, l’Union européenne entend accélérer la transition de son économie vers une économie circulaire, qui avait déjà fait l’objet d’un premier plan stratégique en décembre 2015. Ce dispositif, couplé à la nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe et présentée le 10 mars 2020, dote l’Union d’un plan de bataille au service de son objectif majeur d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La stratégie industrielle précitée « souligne la nécessité de s’éloigner des modèles traditionnels et de révolutionner la manière dont nous concevons, fabriquons, utilisons et éliminons les produits »[4]. Il s’agit ici de transformer le modèle « produire, consommer, jeter » largement répandu en un modèle économique circulaire. À ce titre, le deuxième plan d’action pour une économie circulaire (PAEC) a pour objectif d’encourager le développement de marchés pilotes pour les produits durables et neutres pour le climat dans l’UE. Pour y parvenir, il établit une série d’initiatives pour des produits durables dans les trois grands domaines suivants : la valorisation de la conception durable des produits, le renforcement de l’autonomie des consommateurs et des acheteurs publics, et la promotion de la circularité dans les processus de production[5]. Outre les motivations de préservation environnementale au fondement de la transition économique vers davantage de circularité, nous noterons également un intérêt géopolitique prégnant dans le contexte de la guerre en Ukraine. L’indépendance stratégique de l’Europe vis-à-vis des sources d’énergie et de matériaux extra-européennes est un objectif essentiel selon la Commission pour préserver la stabilité du marché européen[6].
3. Contexte environnemental et socio-économique. Par ailleurs,la proposition entend répondre à plusieurs problèmes environnementaux et socio-économiques identifiés dans l’étude d’impact qui l’accompagne[7]. Le principal problème relève d’une synergie entre les plans environnemental et socio-économique. La consommation et la production ne sont pas durables et non plus correctement encadrées par le cadre légal existant sur les produits ni par les règles du marché intérieur. Cela amène les États membres à prendre des législations nationales divergentes sur les produits durables. Par exemple, nous noterons la fameuse loi AGEC qui a notamment introduit dans le paysage juridique et commercial l’indice de réparabilité, informant le consommateur par une note sur 10 sur le caractère plus ou moins réparable de produits listés par arrêté ministériel[8]. Cet indice n’existe, pour le moment, qu’en France. S’ajoutant à la raréfaction croissante des ressources naturelles primaires, les experts consultés attestent que celles-ci sont toujours utilisées de manière inefficace. Par voie de conséquence, ils constatent des difficultés d’approvisionnement en matières premières et une volatilité de leurs prix, problématiques auxquelles sont confrontées les entreprises européennes. En outre, cela est sans compter le fait que les impacts environnementaux de la consommation d’un citoyen européen moyen dépassent les limites planétaires sur différents critères.
4. Contexte juridique. La proposition REPD s’inscrit dans le prolongement de la Directive 2009/125 du 21 octobre 2009 établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits liés à l’énergie. L’initiative aura vocation à remplacer et élargir le champ d’application de cette directive de manière significative, qu’il s’agisse des types de produits concernés ou des critères d’écoconception. En effet, ce ne seront plus seulement les produits liés à l’énergie qui seront concernés par des exigences minimales d’écoconception, mais la quasi-totalité des produits circulant dans le marché intérieur. De la même manière, il ne s’agit plus seulement d’imposer des mesures visant à améliorer la performance énergétique des produits concernés, mais aussi d’améliorer leur performance environnementale. Par ailleurs, notons que la directive 2009/125 a engendré des impacts positifs, ce qui confirme l’utilité des mesures d’écoconception pour atteindre les objectifs européens en matières énergétique et environnementale. Il n’est donc pas étonnant que la proposition REPD soit présentée comme la pierre angulaire du plan stratégique sur l’économie circulaire. Ses retombées économiques et environnementales pourront être considérables si le dispositif est correctement appliqué. Ainsi, d’ici 2030, il est estimé que la proposition REPD pourra permettre d’économiser 132 Mtoe d’énergie primaire, ce qui correspond à l’équivalent de 150 milliards de mètres cubes de gaz naturel[9]. C’est presque l’équivalent de l’ensemble des importations de l’UE en gaz russe.
De plus, une nécessaire harmonisation des règles de la durabilité s’imposait au vu de leur grande hétérogénéité au sein de l’Union.Comme nous l’avons évoqué plus haut,un nombre croissant d’États prend des mesures en matière de durabilité et de réparabilité des produits, ce qui entraîne une augmentation des coûts et des complications pour les entreprises. Or, il est important d’avoir des règles harmonisées au sein du marché intérieur, où les produits circulent librement, pour inciter les entreprises à adopter des mesures d’écoconception sur les produits. Cela est un moyen de garantir l’efficacité des règles, communes à tous. Alors que l’harmonisation des règles est un objectif déjà poursuivi par la directive de 2009, qui est une directive d’harmonisation totale, la Commission réitère la nécessité d’établir des règles harmonisées en matière de production durable[10]. Cet enjeu explique pourquoi la Commission a décidé de prendre un règlement plutôt qu’une directive, même d’harmonisation totale. En effet, la Commission veut s’assurer une application des règles complète, uniforme et rapide, ce que l’instrument du règlement permet.
Enfin, la présente proposition REPD établit un cadre pour fixer des exigences sur l’écoconception des produits. Celui-ci permettra l’application d’exigences minimales d’écoconception sur la quasi-totalité des produits mis sur le marché intérieur européen.
II – Des exigences minimales d’écoconception des produits durables
5. Les différents types d’actes délégués. À la manière des mesures d’exécution de la directive 2009/125, les mesures d’écoconception seront imposées au travers d’actes délégués au règlement-cadre, pris en application de celui-ci.En effet,d’un point de vue formel, la Commission prévoit de mettre en place différents types d’actes délégués pour atteindre une meilleure durabilité des produits. On peut d’abord citer les mesures sectorielles qui ont pour but de réglementer plusieurs aspects d’un produit tels que son empreinte carbone ou sa durabilité. En outre, dans son plan de travail 2022-2024, et appuyé de plusieurs études d’impact sur la politique générale de l’écoconception, la Commission a identifié certaines catégories de produits prioritaires. C’est par exemple le cas de matières premières (fer, acier et aluminium), des meubles, des pneus, ou encore des textiles. Nous pourrons dès lors nous attendre à ce que les premiers actes délégués portent sur ces catégories de produits.
En plus de ces mesures sectorielles, l’initiative envisage des mesures générales communes à plusieurs catégories de produits pour, par exemple, encadrer des pratiques de production nocives pour l’environnement en imposant des exigences d’écoconception, au sens du présent règlement. À ce titre, notons que ce dernier prévoit que des actes délégués puissent interdire la pratique de destruction des produits neufs sur le territoire européen, avec la possibilité d’organiser quelques exceptions pour des raisons de santé et de sécurité[11].En revanche, la Commission ne donne pas d’indication sur le devenir des produits invendus si ceux-ci font l’objet d’un acte délégué.
6. Les exigences minimales d’écoconception. D’un point de vue substantiel, la proposition opère un changement d’objet du dispositif législatif sur l’écoconception, qui passe de mesures principalement axées sur l’amélioration de la performance énergétique des produits à des exigences axées en grande partie sur la circularité des produits, notamment sur la durabilité et la réparabilité. La Commission prévoit que les mesures d’écoconception soient adaptées aux caractéristiques particulières des groupes de produits concernés. Celles-ci seront définies en fonction notamment du potentiel d’amélioration et de l’efficience relative à l’impact du produit[12]. Parmi les objectifs spécifiques des mesures d’écoconception, nous pouvons noter l’efficacité de l’utilisation des ressources, l’allongement de la durée de vie des produits ou encore la réduction de l’incidence globale des produits sur le climat et l’environnement[13]. En conséquence, s’agissant des critères spécifiques d’écoconception prévus, ils pourront porter sur :
- la durabilité́, la fiabilité, la réutilisabilité, l’évolutivité, la réparabilité et la facilité d’entretien et de remise à̀ neuf du produit ;
- l’utilisation des ressources ou l’utilisation efficace des ressources des produits ;
- le niveau minimal de contenu recyclé des produits ;
- la facilité de démontage, de remanufacturage et de recyclage des produits et des matériaux ;
- l’incidence environnementale des produits tout au long de leur cycle de vie, y compris leur empreinte carbone et environnementale[14].
7. Des exigences d’écoconception obligatoires dans les marchés publics. Mis à part les caractéristiques environnementales intégrées par la proposition, il faut aussi relever l’axe marché public qui y est envisagé. Les marchés publics jouent un rôle considérable dans l’économie européenne. Ils représenteraient environ 16 % de son PIB[15]. Ils constituent donc un enjeu important pour garantir une production durable sur le territoire européen. Ainsi, la Commission vise à utiliser le poids considérable des dépenses publiques pour stimuler la demande en produit écoconçu. Pour ce faire, l’initiative fixe des critères obligatoires applicables à la passation de marchés publics fondés sur les critères facultatifs existants. En effet, la Commission a déjà formulé plusieurs critères en matière de marchés publics écologiques, mais leur incidence reste limitée étant donné que leur utilisation est actuellement volontaire. Dès lors, via l’adoption d’actes délégués, la Commission souhaite désormais obliger les pouvoirs adjudicateurs à utiliser des spécifications techniques, des critères de sélection, d’attribution, ou encore des clauses d’exécution du marché ou d’objectifs particuliers, selon les cas, pour l’achat de groupes particuliers de produits[16]. Concrètement, pour l’achat d’une flotte d’ordinateurs fixe, l’administration française pourrait être contrainte d’inclure dans son marché public un critère sur l’interopérabilité des chargeurs en obligeant les équipements commandés d’avoir un port USB universel (USB-C)[17].
Outre les exigences minimales d’écoconception des produits, l’on trouve également des exigences en matière d’information sur ces produits circulant sur le marché européen, notamment via la mesure phare de la proposition, le passeport numérique du produit.
III – Des exigences minimales d’information environnementale des produits durables
8. Le passeport numérique du produit. L’objectif spécifique du règlement d’améliorer la durabilité des produits[18] se trouvera d’autant mieux satisfait que les informations relatives à ces exigences d’écoconception, mesurables quantitativement et qualitativement, seront transmises à tous les acteurs de la chaîne de valeur du produit. C’est pour cela que la transmission des informations environnementales est aussi un des objectifs poursuivis par le dispositif REPD. Dès lors, la Commission prévoit de mettre en place un « passeport numérique du produit » afin d’enregistrer, de traiter et de partager par voie électronique les informations relatives aux produits entre les entreprises de la chaîne d’approvisionnement, les autorités et les consommateurs[19]. Ces informations porteront sur la circularité des produits, listées à l’annexe III de la proposition, comme la consommation d’énergie, la disponibilité des pièces détachées, la recyclabilité ou la présence de substances préoccupantes[20]. À noter que cette carte d’identité du produit sera la condition sine qua non pour qu’un produit faisant l’objet d’un acte délégué soit mis sur le marché européen. Autrement dit, l’acte délégué doit non seulement prévoir les exigences d’écoconception, mais aussi fixer les exigences relatives au passeport produit, sous peine de voir les produits visés frappés de non-conformité. Cette mesure phare est en fait une exigence minimale d’écoconception informationnelle en ce qu’elle doit être obligatoirement prévue par les actes délégués des produits concernés. Mais c’est aussi une mesure formelle qui traite du support de l’information et non pas de l’information en elle-même, question qui est envisagée à l’article 7[21].
9. Vers une nouvelle étiquette énergie des produits durables? On comprend donc que l’information peut être délivrée par d’autres moyens, tels que l’emballage du produit, le produit en lui-même, le manuel d’utilisation ou bien un site web. En guise d’illustration, il est intéressant de noter que l’initiative prévoit que le passeport pourra être complété, selon les cas, par une étiquette présentant les « classes de performance » allant de A à G au titre de l’information portée aux consommateurs, à la manière de l’actuelle étiquette-énergie[22]. Elle indiquera la performance environnementale du produit au regard notamment de la « durabilité et fiabilité du produit ou de ses composants, exprimées par la vie utile garantie du produit, sa vie utile technique, la moyenne des temps de bon fonctionnement, l’indication d’informations sur l’usage réel du produit, sa résistance mécanique ou au vieillissement »[23]. À cet égard, le récent règlement délégué (UE) 2023/1669 du 16 juin 2023[24] en ce qui concerne l’étiquetage énergétique des smartphones et des tablettes nous fournit un aperçu de ce que pourraient être les futures étiquettes « énergie » (ici, nous pouvons dire plutôt de durabilité) pouvant être apposées sur l’ensemble des produits concernés par de telles mesures.
[1] À l’exception des produits alimentaires, des produits pour animaux, et des médicaments.
[2] Commission européenne, Proposition de règlement du parlement européen et du conseil établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits durables et abrogeant la directive 2009/125/CE, 30 mars 2022, COM(2022) 142 final, art. 2, §6, p. 50.
[3] Communication de la commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, « Faire des produits durables la norme », 30 mars 2022, COM(2022) 140 final.
[4] Commission européenne, proposition REPD, op.cit., exposé des motifs, §1, p. 3.
[5] Loc.cit., p. 4.
[6] Commission européenne, Faire des produits durables la norme, op.cit., p. 1.
[7] Commission européenne, Commission staff working document Impact assessment Accompanying the document Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council establishing a framework for setting ecodesign requirements for sustainable products and repealing Directive 2009/125/EC, 30 mars 2022, SWD(2022) 82 final.
[8] Loi n° 2020-105 du 10 févr. 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, JORF n°0035 du 11 février 2020, art. 16.
[9] https://commission.europa.eu/energy-climate-change-environment/standards-tools-and-labels/products-labelling-rules-and-requirements/sustainable-products/ecodesign-sustainable-products-regulation_en, consulté le 8 janvier 2024.
[10] Commission européenne, Faire des produits durables la norme, op.cit., §1, p. 4.
[11] Commission européenne, proposition REPD, op.cit., art. 20, pp. 70-72.
[12] Ibid, Faire des produits durables la norme, op.cit., §2, p. 5.
[13] Loc.cit., p. 6.
[14] Commission européenne, proposition REPD, op.cit., art. 5, p. 56.
[15] Parlement européen, Les marchés publics, Fiche technique sur l’Union européenne, 2023, p. 1, https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/34/public-procurement-contracts, consultée le 8 janvier 2024.
[16] Commission européenne, proposition REPD, op.cit., art. 58,p. 95.
[17] Commission européenne, criteria for computers, monitors, tablets and smartphones(version 1.1), Voluntary Green Public Procurement Criteria and Requirements, 2021, https://green-business.ec.europa.eu/green-public-procurement/gpp-criteria-and-requirements_fr#gpp-requirements-in-sectoral-legislation, consulté le 8 janvier 2024.
[18] Commission européenne, proposition REPD, op.cit., Fiche financière législative, §1.4.2, p. 106.
[19] Ibid., art. 8, p. 61.
[20] Annexe à la proposition de Règlement du parlement européen et du conseil établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits durables et abrogeant la directive 2009/125/CE (ci-après Annexe à la proposition REPD), 30 mars 2022, COM(2022) 142 final, Annexe III, p. 5.
[21] Commission européenne, proposition REPD, op.cit., art. 7, pp. 59-60.
[22] Loc.cit., §4, p. 59.
[23] Annexe à la proposition REPD, op.cit., Annexe I, p. 1.
[24] Commission européenne, Règlement délégué (UE) 2023/1669 du 16 juin 2023 complétant le règlement (UE) 2017/1369 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne l’étiquetage énergétique des smartphones et des tablettes, JOUE L 214/9, 31 août 2023.