Par Tania Racho, Chercheuse associée à l’IEDP, Directrice Formations Les Surligneurs
Le 19 janvier 2022, le Président Emmanuel Macron a prononcé un discours devant le Parlement européen afin de présenter les priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui a lieu de janvier à juin 2022. C’est un nouveau trio de présidence qui s’ouvre, initié par la France, suivi de la République Tchèque (juillet-décembre 2022) puis de la Suède (janvier-juin 2023). Ces trois États sont supposés travailler de concert sur les sujets soumis au Conseil de l’Union européenne.
Le Président français annonce, lors de ce discours, qu’il souhaite que la Charte des droits fondamentaux soit « plus explicite sur la protection de l’environnement ». Sujet qui n’avait pas été abordé auparavant et qu’il met en lien avec l’inscription du droit à l’avortement dans le même texte. Actuellement, l’article 37 de la Charte prévoit que l’Union assure « Un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable ».
Plus loin, il évoque le Green Deal « Le climat est le premier de ces défis (…) Transformer nos industries, investir dans les technologies du futur, qu’il s’agisse des batteries ou de l’hydrogène, c’est l’ambition même du pacte ». Les deux propositions ne semblent pas connectées, pourtant cette volonté de modifier la Charte est nouvelle. Le Green Deal aurait-il besoin d’un droit fondamental pour avancer ?
Une disposition symbolique dans la Charte écartée au profit de l’article 191 TFUE
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a été proclamée le 7 février 2000, mais sa valeur contraignante n’a été reconnue qu’avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009. Entre les deux, le texte n’a été que très peu modifié, ce qui explique notamment que certains articles ne soient pas directement invocables.
C’est le cas de l’article 37 de la Charte : considéré comme un principe, il est quasi systématiquement écarté par la Cour de justice, au profit de l’application de l’article 191 du Traité sur le fonctionnement sur l’Union européenne (TFUE), qui est d’effet direct. Ce sont les explications du Praesidium, un texte non contraignant qui accompagne la Charte, qui précisent que l’article 37 de la Charte est fondé sur les articles 11 et 191 du TFUE et qu’il s’inspire également des dispositions de certaines constitutions nationales.
Ainsi, la Charte invite à privilégier les articles 11 du Traité sur l’Union européenne (TUE) et 191 TFUE, qui comportent un niveau de détail plus important. Ainsi, l’article 11 TFUE indique que « Les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable ». L’article 191 TFUE précise les objectifs de l’Union dans le domaine de l’environnement :
« — la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement,
— la protection de la santé des personnes,
— l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles,
— la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique ».
L’article 191 TFUE ajoute que l’Union recherche un niveau de protection élevé (§2) et offre plus de détails sur la méthode poursuivie pour atteindre ce haut niveau de protection de l’environnement, un objectif de l’Union européenne également mentionné à l’article 3 TUE.
La formulation de l’article 37 est plus générale, elle n’ajoute rien par rapport aux traités, qu’il paraît donc plus logique de privilégier dans leur application concrète, même si la Charte est toujours mentionnée. Le seul mérite de l’article 37 est d’exister dans la Charte : la protection de l’environnement est fondamentale, ce qui n’est pas dit dans les traités, mais ce n’est pas pour autant un « droit » fondamental.
L’objectif de la modification pourrait être de renforcer le principe de protection de l’environnement pour en faire un droit
L’article 37 de la Charte cède en pratique la place à l’article 191 TFUE également parce qu’il est aussi considéré comme un « principe ». En effet, la Charte contient des droits et des principes, les seconds ne pouvant pas être appliqués directement. Les principes sont invocables à l’encontre de normes de droit dérivé qui les appliquent (voir par exemple pour l’article 37 de la Charte CJUE, Associazione Italia Nostra Onlus, 21 décembre 2016, aff. C-444/15, points 61 à 64). La distinction entre les deux se fait disposition par disposition, selon leur rédaction et contenu.
Les explications du Praesidium sous l’article 52 § 5 ont donné quelques illustrations de dispositions qui contiennent un principe, parmi lesquelles figure l’article 37, le principe de protection de l’environnement.
Une modification de la Charte pourrait alors consister en une reconnaissance ferme d’un droit à la protection de l’environnement, directement invocable dans tous les contentieux, sans nécessiter de norme dérivée de concrétisation.
Cependant, l’article 191 TFUE joue déjà ce rôle. La Cour de justice l’utilise d’ailleurs, lorsqu’elle est confrontée à une limitation de la protection de l’environnement. L’article 52 § 2 de la Charte invite à prendre en considération les limitations envisagées par les traités pour les droits qui y trouvent leur équivalent, comme c’est le cas pour l’article 37. La formule de la Cour est claire « Par conséquent, l’argumentation de la République de Pologne relative à la Charte doit être examinée à la lumière des conditions et des limites qui découlent de l’article 191 TFUE » (CJUE, 13 mars 2019, Pologne c/ Parlement, aff. C-128/17, point 131).
Reste que l’article 191 TFUE n’est pas désigné comme un droit fondamental mais il figure dans les politiques de l’Union européenne. Sur le terrain purement symbolique, une reconnaissance d’un droit à la protection de l’environnement serait davantage engageante. La problématique se pose également devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’a pas de fondement spécifique pour la protection de l’environnement. Dans une situation très spécifique, la Cour de Strasbourg s’est fondée sur la protection de la vie (article 2 de la Convention) pour estimer que l’État avait défailli dans sa protection face à des problématiques environnementales (CEDH, Gde chbr., 30 novembre 2004, Öneryildiz c. Turquie). Toutefois, les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme sur le sujet ne sont pas fréquentes.
En pratique, les institutions de l’Union européenne arrivent à lier droits fondamentaux et environnement, comme le démontre la proposition de février 2022 de directive de la Commission européenne sur le devoir de vigilance européen sur les droits humains et l’environnement : le sujet peut être abordé malgré l’absence d’invocabilité directe de l’article 37 de la Charte. Le Green Deal avance également, sans qu’il paraisse nécessaire de se fonder sur un droit fondamental à la protection de l’environnement.
Une proposition de réforme ou simplement de débat ?
Dans son discours, le Président mentionne la volonté de modifier la Charte au sujet de l’environnement et du droit à l’avortement, en indiquant « Ouvrons ce débat librement avec nos concitoyens de grande conscience européenne, pour donner un nouveau souffle à notre socle de droits qui forge cette Europe forte de ses valeurs, qui est le seul avenir de notre projet politique commun ». Un débat simplement ou une discussion préalable dans l’objectif d’engager une modification du texte, voire des traités ?
Deux questions se posent alors : 1) la Charte pourrait-elle être modifiée de façon autonome, sans revoir l’ensemble des traités et si c’est bien le cas 2) quelle procédure s’appliquerait ? On pourrait compléter ces interrogations par les chances de succès d’un tel projet.
Tout d’abord, la Charte a été adoptée par une Convention spécifiquement constituée pour rédiger et adopter le contenu de la Charte. Une méthode unique, qui n’a servi que pour la Charte et le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Avant et pour le traité de Lisbonne, c’est la méthode classique de convocation d’une conférence intergouvernementale qui a été utilisée.
Un groupe spécial, composé de représentants des parlements nationaux, des États membres, du Parlement européen et de la Commission, a donc été mis en place avec pour mandat de rédiger et d’adopter par consensus la Charte. La convocation d’une nouvelle Convention pourrait ainsi permettre de modifier la Charte, indépendamment des traités, conformément à l’article 48 TUE.
Cela étant, la procédure reste lourde pour une modification n’affectant que la protection de l’environnement et le droit à l’avortement. Le second ayant très peu de chance d’être adopté au vu de la grande disparité des législations des États membres sur le sujet. En revanche, la discussion pourrait être pertinente si elle a lieu en même temps qu’une révision des traités, la Charte en faisant d’ailleurs partie, même si elle figure en annexe. De plus, les textes primaires de l’Union européenne sont régulièrement revus et le traité de Lisbonne est entré en vigueur il y a plus de 10 ans.
En revanche, le Président français n’a pas mentionné dans son discours de réflexion plus générale de modification des traités, laissant davantage d’interrogation que de réponse quant au dessein concret de modification de la Charte.